Frédéric Guerra, vous qui connaissez bien Hatem Ben Arfa : où s’est-il trompé avec lui, pour conduire au gâchis d’un talent présenté il y a vingt ans comme la perle rare du football français ? Il est devenu psychologiquement il y a longtemps, dans son enfance. Il était roi, roi, roi. On lui a toujours dit ses droits mais jamais ses devoirs. Quand je l’ai trouvé et que ses parents m’ont fait confiance, j’étais persuadé que j’avais un joueur, si on travaillait sur son esprit, qui serait un futur Ballon d’Or, il avait tellement de talent. Ça restera un énorme gâchis, ça pourrait être LE gâchis footballistique du 21e siècle. Le fait qu’il lui ait collé cette étiquette de la future perle a-t-il fini par le servir ? Non, il y a beaucoup de joueurs à qui on a dit trop tôt qu’ils seraient des perles. Et qui ils étaient. Cristiano Ronaldo est devenu un énorme travailleur dès son plus jeune âge, quelqu’un qui s’est toujours remis en question. Karim Benzema a fait exactement le même parcours. Ce sont des gens qui se sont dit que pour arriver au sommet, il faut du travail, du travail, du travail. Et ce talent ne suffisait pas. Mais son mentor, Michel Ouazine (son conseiller et porte-parole, ndlr), lui a seulement dit que le talent suffisait. Hatem a 35 ans aujourd’hui, mais il en aura 17 toute sa vie Je me souviens qu’une fois Didier Deschamps l’a mis sur le banc à Marseille. Michelle m’a dit : “Elle le met sur le banc parce qu’elle lui demande de défendre. Mais on ne demande pas un futur Ballon d’Or à défendre !”. Et il dit ça devant Ben Arfa… Il ne peut pas aider le garçon à grandir. Hatem a 35 ans aujourd’hui, mais il en aura 17 pour le reste de sa vie. Il est un enfant. Ben Arfa et Benzema ©AFP Coéquipier dans les jeunes années de Lyon, Karim Benzema semblait intrinsèquement moins doué à tous les pieds que Ben Arfa au début. Finalement, c’est Benzema qui fera une excellente carrière… Quand je me suis occupé d’eux tous les deux, en U17, je suis allé les voir à l’entraînement. J’ai vu Karim regarder Hatem en s’amusant, pour voir ce qu’il faisait. Karim a alors essayé de le faire encore et encore… Grâce à Hatem, Karim, se rendant compte qu’il était deuxième derrière lui, s’est rendu compte que le talent n’allait pas suffire. Ça lui a donné cette envie d’être le premier et il l’a très bien fait. Hatem ne comprenait pas, il pensait que le talent suffirait. Et quand on le regarde aujourd’hui, il en est toujours convaincu. Je suis sûr que certains psychiatres penseront à un personnage aussi difficile que Hatem. Comment jugez-vous son évolution ? Au cours des quatre années que j’ai passées à m’occuper de lui à Lyon, j’ai vu que tous les gens autour de lui n’étaient que des bagagistes. Son talent dépasse tout. C’est un garçon qui ne vous demande jamais rien, mais qui vous fait toujours sentir que vous lui devez tout. Cela ne vous donne pas de respect, mais cela exige du respect. Cela ne vous procure pas de plaisir mais cela demande de la présence. Cela ne vous fait pas sourire, mais cela vous oblige à plier le dos tout le temps. Il y aura toujours quelqu’un pour croire que Hatem est gérable. C’est quelqu’un qui ne tourne qu’autour de lui, et qui donne une impression de sympathie, d’empathie. Mais c’est complètement faux. C’est un garçon complètement faux, entre l’image qu’il essaie de donner en public et ce qu’il est vraiment. Il reste un garçon très aimé. Mais cela a une fonction très individualiste, que l’on retrouve aussi sur le terrain. J’ai des mots durs avec lui, car malgré le fait qu’il m’ait trompé pendant quatre ans, c’est un garçon avec qui j’étais très proche. Vraiment. Nous ressentons beaucoup d’amertume dans votre jugement… Hatem aurait dû être un joueur ordinaire et ce talent aurait dû être confié à quelqu’un d’autre qui se respectait davantage. Pouvoir montrer à tous ces gamins qui aiment ce genre de joueurs, qu’avec du travail on peut aller encore plus haut. En cela, j’ai une vraie amertume, oui. Etes-vous surpris par sa brouille avec Tiago Djalo et Jocelyn Gourvennec, samedi dans les vestiaires après Bordeaux (0-0, 30e journée de Ligue 1) ? Non. Hatem est un garçon qui n’a pas de filtre entre le cerveau et la bouche. Il y a des gens qui pensent tout ce qu’ils disent, mais ils ne disent pas tout ce qu’ils pensent. Hatem lui dira tout ce qu’il pense, et en fait avec force. Ce que nous dit la presse, lorsqu’il dit que son équipe joue très bas : c’est une analyse d’un footballeur que T. n’est peut-être pas fausse en ce moment. Par contre, d’ajouter : “On n’est pas à Guingamp”. ici. “, il faut qu’il veuille faire mal à son entraîneur qui est passé par Guingamp. Et c’est inadmissible pour un vestiaire, un président, une institution. On est là avec le suivant. Parce qu’il y aura du prochain. Il y aura toujours être quelqu’un qui croit que Hatem est gérable et réactif au défi. Entretien avec Edward Jay