Alors que Vladimir Poutine a annoncé jeudi que le gaz russe devait désormais être payé en roubles, l’Union européenne, premier client de Moscou, s’est fermement opposée à son refus et a confirmé qu’elle envisagerait d’autres scénarios pour son approvisionnement.  France 24 décrypte, avec Francis Perrin, énergéticien à l’Iris, cette nouvelle étape de la polémique autour de la guerre en Ukraine.                 

La guerre en Ukraine pourrait-elle provoquer un arrêt précoce des exportations de gaz russe vers l’Europe ? Alors que les pays de l’Union européenne (UE) ont décidé d’exempter les contrats gaziers des sanctions contre la Russie, Vladimir Poutine a annoncé jeudi 31 mars que les pays “inamicaux” devraient désormais payer leurs factures en roubles. Une demande jugée inacceptable par l’UE, premier acheteur mondial de gaz russe, qui a appelé la Russie à respecter ses contrats, qui prévoient un paiement en euros et parfois en dollars. Face aux menaces de Moscou, qui affirme désormais envisager de se tourner vers le marché asiatique, les gouvernements français et allemand ont déclaré jeudi qu’ils se préparaient à un éventuel arrêt des importations de gaz russe. Pour analyser les conséquences possibles d’une telle décision pour l’UE comme pour la Russie, France 24 s’est entretenu avec Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), expert en énergie. France 24 : Comment analysez-vous l’annonce de Vladimir Poutine ? Les dirigeants européens disent s’être engagés à continuer à acheter du gaz en euros, la menace russe est-elle crédible ? Francis Perrin : Cette menace n’est pas vraiment crédible. Pour deux raisons. Tout d’abord, il contredit le contenu des contrats qui lient Gazprom et les compagnies gazières européennes, qui prévoient un paiement en euros et parfois en dollars. La modification unilatérale de tels accords est illégale et Vladimir Poutine en est conscient. L’autre raison est qu’il y a beaucoup d’histoires de Moscou : Vladimir Poutine annonce l’obligation. Vladimir Poutine lui-même rassure Olaf Soltz et Mario Draghi sur le fait que rien ne change, et le porte-parole du Kremlin Dmitry Peshkov parle d’une mise en place progressive du paiement en roubles. Il s’agit donc à mon avis d’un bluff, dont Vladimir Poutine est un grand connaisseur. Aussi souvent qu’il le fait, il fait une déclaration forte pour évaluer les réactions et ajuster sa stratégie. Paris et Berlin prétendent-ils se préparer à un éventuel arrêt des importations de gaz russe, ont-ils des possibilités de retrait suffisantes ? Il faut d’abord dire que si les Européens n’ont pas imposé de sanctions sur le gaz russe – qui représente 45% de leurs importations – c’est parce qu’ils ne peuvent pas s’en passer à court terme. Or, avec la guerre en Ukraine, il y a désormais sur la table un plan pour réduire significativement cette dépendance en 2022, en vue d’un retrait complet du gaz russe d’ici 2027. Pour cela, il y a trois leviers : trouver de nouveaux fournisseurs de gaz, remplacer partager la consommation de gaz avec d’autres sources d’énergie, notamment renouvelables, et enfin économiser la consommation actuelle. Cette stratégie devrait réduire les importations russes d’au moins un tiers cette année. Du côté des nouveaux fournisseurs, un contrat a déjà été signé avec les États-Unis pour augmenter les livraisons de gaz naturel liquéfié, ce qui compensera à terme un tiers des importations russes actuelles. Parmi les autres partenaires potentiels figurent le Qatar, l’Algérie, le Nigéria, l’Égypte, la Norvège ou encore l’Azerbaïdjan. La Russie est le premier fournisseur de gaz d’Europe et l’Europe est son principal client. Dans le contexte de guerre actuel, Vladimir Poutine est-il vraiment en position de force sur cette question ? La Russie n’est pas en position de force pour une raison simple : elle est encore plus dépendante du marché européen que l’Europe des exportations russes. En d’autres termes, Moscou a plus à perdre que l’Europe dans cette affaire. Pour l’UE, bien sûr, il n’est pas facile de tourner la page de la Russie, mais elle dispose déjà d’infrastructures suffisantes pour augmenter les importations de gaz naturel liquéfié, du moins dans un premier temps. Si ces livraisons coûtent plus cher, elles ont un avantage non négligeable : elles sont plus flexibles, car elles sont livrées par bateau et non par gazoduc. Cette flexibilité permet une plus grande sécurité d’approvisionnement, car elle facilite la diversification des ressources. Côté russe, l’industrie est principalement tournée vers l’Europe et nécessitera de gros investissements en infrastructures pour l’exportation massive de gaz naturel par voie maritime, ce qui nécessite sa liquéfaction. En dehors de l’UE, Moscou exporte du gaz vers le Japon, la Corée et la Chine. Les deux premiers, alliés des Etats-Unis, s’aligneront derrière son poste. Il reste la Chine, qui est certes une alliée de la Russie, mais avec qui les négociations d’accords commerciaux ne sont pas faciles, surtout si le rapport de force est en sa faveur. Bien sûr, la Russie aura aussi la perspective de trouver de nouveaux clients, mais sa situation sera plus difficile, car elle a moins de partenaires européens, mais aussi moins de partenaires potentiels.

À (re)voir : FOCUS – L’Union européenne a dû reconsidérer sa stratégie énergétique