On a souvent loué ou critiqué le pragmatisme légendaire de Didier Deschamps. Ses supporters lui attribuent les victoires du coach, ses détracteurs en font la cause d’un jeu très prudent. En moins de six mois, ce chœur intemporel a disparu. A sa place depuis 2012, l’homme fort des Bleus a attendu près de dix ans pour opérer une transformation tactique spectaculaire. Le mardi 29 mars, lors d’une large victoire contre l’Afrique du Sud (5-0) à Villeneuve-d’Ascq, ainsi que quelques jours plus tôt contre la Côte d’Ivoire à Marseille (2-1), l’équipe de France a réintégré le Système 3 -4-3, qui n’a pas peur d’accepter un petit déséquilibre – un long gros mot dans le football pour Deschamps – pour mieux surprendre son adversaire. Et par deux fois, malgré le contexte convivial de ces rencontres, les spectateurs ont eu droit à des matchs agréables, loin de quelques représentations moroses du passé. À lire aussi : Avec un Olivier Zirou décisif, les Bleus ont arraché la victoire face à la Côte d’Ivoire
Après la première victoire face à la Côte d’Ivoire, Didier Deschamps a entrepris sa nouvelle philosophie avec des inspirations téméraires. “On peut aller l’un contre l’autre. Sinon, on est cinq défenseurs derrière et ce n’est pas ce que je veux, a-t-il osé, je ne choisis pas ce système pour verrouiller mais pour créer plus de risques. La Côte d’Ivoire nous a posé des problèmes côté gauche mais ils n’ont pas résolu ce qu’on leur demandait. » Face à un adversaire des “Bafana Bafana”, bien moins redoutable que celui offert par les “Elephants”, les Bleus n’ont même pas eu à s’inquiéter d’un éventuel manque d’attention. Sans qualification pour la prochaine Coupe du monde, l’Afrique du Sud a souffert des vagues tricolores. Le danger venait de partout. En particulier, l’utilisation prudente du nombre excessif provoqué par les joueurs latéraux des couloirs, les fameux “pistons” ainsi nommés car ils glissent tout au long du jeu, amenant un risque offensif et sont également chargés de bloquer leurs couloirs en phase défensive.

Bape est insupportable

Aux portes de Lille, Lucas Digne – ancien joueur du LOSC – et Jonathan Clauss – l’actuel joueur lensois, sifflé par une grande partie du public local – ont endossé ce rôle énergivore et essentiel dans ce dispositif. Digne s’est fait remarquer, faisant plusieurs fois équipe avec Kylian Mbappé, insupportable comme à son habitude, auteur du doublé et buteur pour la neuvième fois lors de ses cinq derniers matchs avec les Bleus. A la 16e minute, la légère déviation du premier a permis au second de passer dangereusement pour Olivier Zirou. A la 38e minute, c’est le Parisien qui a servi son coéquipier en position extrême pour un tir stoppé par le gardien sud-africain, Rongwen Williams. Mais c’est en revanche, un quart plus tôt, que les Bleus avaient trouvé l’ouverture. Klaus a tiré sur Antoine Griezmann, à droite. Ce dernier a dépassé ses adversaires avant de passer pour Mbappé. Contrôle, crochet pour éliminer son défenseur et frappe enroulée dans la lucarne de la star du PSG (1-0, 23e). Dix minutes plus tard, l’attaque française montrait l’étendue de sa palette : plein axe cette fois, Griezmann trouvait en retrait Olivier Giroud, déjà buteur lors de son retour à Marseille face aux Ivoiriens. L’attaquant milanais a marqué le deuxième but avec le sang-froid qui le caractérise, consacrant du temps pour venir à bout du piètre défenseur et mettre Williams à contre-pied (2-0, 33e).

“Ma ligne de conduite”

                  Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, en conversation avec Antoine Griezmann, lors du match contre l’Afrique du Sud, le mardi 29 mars, à Villeneuve-d’Ascq.  FRANCK FIFE / AFP  

“Dédé”, le champion pragmatique, reconnu pour sa tactique destinée à surpasser l’équipe adverse, s’est mué en entraîneur joueur, conscient du potentiel offensif de ses défenseurs. “Je ne veux pas me tenir l’un l’autre parce qu’il y a un danger. Ce n’est pas un risque. “C’est ma ligne de conduite”, a-t-il déclaré, faisant référence à l’Afrique du Sud. Νέ Une fois que la nouvelle façon d’agir ήταν n’était pas une coutume pour “cette victoire du père”, le déclic a été fait malgré une expérience catastrophique qui s’est soldée par une élimination caustique en huitièmes de finale de l’Euro 2021. Face à la Suisse, peut-être limité par les blessures, Deschamps a abandonné le 4-3-3 utilisé lors des trois matches de poule pour créer ce 3-4-3. Faute de vrais spécialistes du couloir Adrien Rabiot et Benjamin Pavard non qualifiés pour le poste, les Bleus ont pris l’eau d’entrée. Le coach a changé de tactique, ses troupes ont semblé bouleverser le match, menant 3-1 avant de sombrer et de perdre aux tirs au but. “Dèche” n’avait pas tiré un trait sur cette idée. Et il allait retrousser sa manche en demi-finale et finale de la Ligue des Nations en octobre dernier. Cela a profité à un nouveau venu, Theo Hernandez, le joueur qui s’adapte parfaitement aux exigences de ce système. Véritable révélation des Bleus lors du succès en Ligue des Nations – remplaçant ce soir, mais excellent contre la Côte d’Ivoire – le cadet des frères Hernandez en symbolise les atouts. Un mois plus tard, contre le Kazakhstan (8-0), Deschamps innove en ajoutant son bras droit, Kingsley Koman de Munich, qui jouait auparavant comme ailier. Cette conversion a fonctionné à merveille contre les faibles Cosaques mais aussi contre les meilleurs Ivoiriens. Lire aussi Article destiné à nos abonnés « En 2021, l’équipe de France de football se perdra puis se retrouvera »

Les pistons en preuve

“Pourquoi rester derrière si on a le ballon ? Deschamps s’est expliqué sur ces deux pistons. Ils sont là pour utiliser la largeur. Si quelqu’un est grand, vous pouvez avoir un peu plus de sécurité de l’autre côté et c’est ce que Kingsley a fait vendredi. Mais sinon, on sort à trois [défenseurs centraux] et c’est dans leur main [les pistons] pour occuper la largeur. » Contre les Ivoiriens et les Sud-Africains, les deux paires de pistons différentes l’ont parfaitement fait, contribuant aux myriades d’occasions de l’équipe de France en seconde période. De moins en moins timide, de moins en moins sifflant et même sous les applaudissements lorsqu’il est parti en fin de match, Jonathan Clauss a de peu assommé le but (50e), puis a marqué pour Giroud qui a raté le gardien adverse (54e). A la 64e minute, sur le côté gauche de l’attaque des Blues, le tir de Lucas Dije tombe sur la transversale de Williams. C’est sifflé avant le match et en première période, le Lensois Jonathan Klaus s’est finalement fait applaudir par le public lillois. DENIS CHARLET / AFP
Suprématistes, les Tricolores ont complété leur marche de santé avec trois nouveaux buts. D’abord par un nouveau numéro de Bape, qui réussissait et transformait un penalty (3-0, 76e). Puis, du remplaçant Wissam Ben Yedder, qui a cherché au second poteau une tête d’un autre participant, Paul Pogba (81e, 4-0). Marseillais, Mateo Gentuzi a fermé le score d’une frappe qui se place justement dans les délais (92e, 5-0). Dans un peu plus de deux mois, l’équipe de France disputera quatre matches de la Ligue des Nations 2022, dont le premier le 3 juin contre le Danemark. Jusqu’à la prochaine Coupe du monde au Qatar (21 novembre – 18 décembre), les Bleus n’ont que des matches officiels de compétition. De quoi espérer encore plus de performances. Et que, surtout, les paris ne prévalent pas sur le jeu. Anthony Hernandez (Envoyé spécial à Villeneuve-d’Ascq (59))