Posté à 17h00
Gabrielle Duchaine La Presse
Katia Gagnon La Presse
Ariane Lacoursière La Presse
“Si on n’arrête pas, je démissionnerai”
Nous sommes en plein mois d’avril 2020. Une réunion téléphonique spéciale vient d’avoir lieu. Les ministres de la Santé et des Aînés, le sous-ministre de la Santé (Yvan Gendron) ainsi que plusieurs sous-ministres d’État y ont participé. Pascale Fréchette, chef de cabinet pour les personnes âgées de Marguerite Blais, était également présente. A l’issue de cette rencontre, Pascale Fréchette est profondément découragée. Elle attrape son téléphone pour appeler son patron : « Si on n’arrête pas, j’abandonnerai. » “C’est” le transport massif, qui a eu lieu entre la mi-mars et le 8 avril, de patients des hôpitaux en CHSLD. Il s’agit de patients âgés classés NSA, pour “alternative level of care”. De toute évidence, ils n’ont plus besoin de soins aigus ni, par conséquent, d’hospitalisation. Entre la première semaine de mars et le 8 avril, ils ont été envoyés en grand nombre en CHSLD. De plus, après le 8 avril, malgré une directive du ministère de la Santé interdisant le transport des patients de la NSA, les personnes âgées qui ont dû rester à l’hôpital sont toujours renvoyées dans des résidences pour personnes âgées, a déclaré Pascale. Marguerite Blais en est bien consciente puisqu’il continue de recevoir des courriels de familles paniquées transmis par les bureaux des députés. Il ne peut plus le supporter. Je n’arrivais pas à croire qu’on envoyait encore des patients en CHSLD, où il nous manquait tout. Pascale Fréchette, directrice de cabinet de la ministre déléguée aux Aînés, Marguerite Blais Mme Fréchette connaît bien le réseau des CHSLD. Sa mère y a été infirmière pour le reste de sa vie professionnelle. Il emmenait souvent le petit Pascal sur son lieu de travail, lui faisant même parfois un lit. En 2000, la mère de Pascale Fréchette prend sa retraite, “car elle dit ne pas avoir le temps de s’occuper de ses patients”. Entrée en politique en 2001, Pascale Fréchette est devenue, en 2014, l’adjointe de circonscription du député François Paradis, ancien présentateur d’une émission télévisée très populaire sur le réseau TVA au Québec. Il a traité d’innombrables appels à l’aide de familles sur des “cas de CHSLD”. PHOTO DE TWITTER Pascale Fréchette, directrice de cabinet de la ministre déléguée aux Aînés, Marguerite Blais Bref, lorsqu’il arrive au bureau de Marguerite Blais quatre ans plus tard, il connaît parfaitement l’état des jouets de ces magasins. “Laissez-moi dire que j’ai été critique dès le début. » Avec sa nomination, la nouvelle ministre déléguée aux Aînés a entrepris une tournée des CHSLD. En deux ans, il en a visité une centaine. Certaines visites étaient annoncées, d’autres non. Il a atterri, est monté, a parlé aux gens. “J’ai posé des questions”, nous a-t-il dit dans une interview. Et j’ai toujours eu plus ou moins les mêmes réponses : “je n’ai pas le temps, nous sommes débordés”. C’était la réalité. » Comment, en pleine pandémie, des seniors vulnérables ont-ils pu être transportés en masse vers un réseau qui manquait tant d’armes ? Il faut remonter à février 2020 pour comprendre. A cette époque, le coronavirus quittait son berceau et gagnait l’Europe et les Etats-Unis. Le réseau de la santé québécois regarde avec horreur ce qui se passe en Italie, en Espagne et encore plus près de chez nous, à New York. Les hôpitaux sont inondés de patients infectés par le COVID-19. Les urgences débordent. Les unités de soins intensifs sont inondées. Il manque de respirateurs. Il n’y a pas assez d’espace pour accueillir ce tsunami de patients. PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE Un CHSLD lors de la première vague, au printemps 2020 Le 9 mars dernier, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a présenté quatre scénarios au ministère de la Santé concernant la pandémie qui pourrait toucher le Québec. Le scénario du pire, celui où aucune mesure de précaution n’est prise pour la santé, est catastrophique : 250 000 hospitalisations, 56 000 décès et un réseau hospitalier complètement noyé sont prévus. Une semaine plus tard, l’INSPQ faisait la même présentation devant la cellule de crise, qui réunissait le premier ministre, le ministre de la Santé, plusieurs cadres supérieurs et des politiciens. Tout le monde a haleté, se souvient Jonathan Valois, le chef de cabinet de Danielle McCann à l’époque. La sous-secrétaire adjointe à la Santé Lucie Opatrny a alors été chargée de préparer les hôpitaux à la pandémie. La tâche est ardue : il doit planifier les parcours de soins des futurs patients COVID aux urgences et en réanimation pour éviter qu’ils ne se croisent avec d’autres patients sains. Certains hôpitaux doivent construire des unités COVID à partir de zéro pour les patients infectés. Lucie Opatrny doit assurer l’accessibilité des cliniques de dépistage clinique, des laboratoires et des équipements. Le sous-secrétaire d’État adjoint Opatrny, décrit par beaucoup comme un “général de guerre”, se lève à 5 heures du matin pour lire les journaux, puis se rend aux réunions toute la journée et résout souvent les problèmes jusqu’à minuit. Pendant les quatre mois de la première vague, il dormira au maximum quatre heures par nuit. Elle forme rapidement des comités d’experts qui l’aident à prendre les bonnes décisions. Aucun représentant de la communauté des CHSLD ne participe à ces comités. Pourquoi ? Car ces centres, qui font partie du réseau des CHSLD, ne font pas référence à Lucie Opatrny, mais à sa collègue Natalie Rosebush, également sous-ministre. La directrice de carrière Natalie Rosebush est une femme capable, dévouée, mais plutôt égoïste, dont la personnalité est à des années-lumière de celle d’un bulldozer comme le Dr. Opatrny. Le public le rencontrera pour la première fois en octobre 2021, lors de l’interrogatoire par le médecin légiste Géhane Kamel. Il parle d’une voix douce et utilise généralement la terminologie standard de la fonction publique. De tous les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé à qui nous avons demandé d’être interviewés à propos de ce livre, c’est l’un des seuls qui a refusé, préférant répondre à nos questions par e-mail. “Il n’avait pas l’influence, la charge de dédommager une personne comme Lucie Opatrny”, a déclaré un conseiller politique, qui nous a demandé de garder le silence en son nom. Il n’est pas l’homme le plus pointu pour poser son pied. »
Ce que Marguerite Blais a dit au médecin légiste
Le secrétaire Blais a témoigné devant le médecin légiste Géhane Kamel en janvier. A 71 ans, elle avait décidé de mettre fin à son arrêt maladie pour cause d’épuisement professionnel afin de pouvoir répondre aux questions de Me Kamel. Voici, en bref, ce qu’il a dit. PHOTOGRAPHIE DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE La ministre Blais lors de son témoignage devant le médecin légiste Géhane Kamel
Le ministre a-t-il entendu ?
Me Kamel a demandé au ministre s’il avait été “formellement impliqué dans les discussions” pendant la crise. “As tu entendu? Réponse de Mme Blaise : « Si je n’avais pas été entendue, nous n’aurions jamais eu un si gros budget. La ministre a été confrontée à des propos tenus en 2020 à l’émission Enquête de Radio Canada, où elle disait ne pas avoir l’impression que le Québec l’écoutait. “J’ai donné mon avis. Peut-être que ce que je disais était…