“Nous arrêterons le 31 mars comme prévu. Nos salariés pourront bénéficier du dispositif qui leur est proposé dans le cadre d’un PSE”, a précisé Camille Jaffrelo, directeur de cabinet de GazelEnergie. “Mais, s’il s’avérait que nous devions répondre à un problème de sécurité du système l’hiver prochain et que c’est ce qui semble se dessiner, nous pourrions redémarrer la machine. Or, nous avons légalement besoin d’un nouveau décret, qui précisera précisément le nombre “Ce sont des sujets qui sont en discussion. Tant qu’il n’y aura pas de décision de l’Etat, on ne bougera pas”, poursuit-il. Pour redémarrer, l’usine doit faire face à des contraintes techniques, sociales et d’approvisionnement. “Nous n’avons quasiment plus de charbon sur le chantier et nous avons besoin de restructurer un effectif”, explique Camille Jaffrelo, qui compte désormais 87 salariés et autant de sous-traitants. La section, d’une capacité installée de 600 MW, doit se tourner vers d’autres fournisseurs, alors qu’une partie du charbon qu’elle utilise aujourd’hui provient de Russie. Une option qui n’est plus possible est proposée par GazelEnergie.
Nouveau décret pour la réouverture de l’usine
Selon GazelEnergie, la décision prochaine du gouvernement de publier ce décret dépend de deux facteurs : les résultats d’un contrôle d’EDF sur la disponibilité de son parc nucléaire pour l’hiver 2022/2023, ainsi qu’un bilan de RTE (le réseau de transport d’électricité) pour la capacité hivernale prochaine des dix centrales à gaz en France. Car, pour réduire notre dépendance au gaz russe, une baisse de la demande est inévitable. “Si on réduit l’arrivée du gaz naturel en France, il faut réduire les usages, qui se partagent entre la consommation domestique, l’industrie et la production d’électricité à partir du gaz naturel”, commente Camille Jaffrelo. Les centrales au charbon dont la production peut être maîtrisée pourraient donc être davantage utilisées pour compenser la production plus faible, également maîtrisée, des centrales au gaz.
Une usine qui tourne à plein régime
Dans ce contexte de crise énergétique, la centrale septuagénaire de Saint-Avold tourne désormais à plein régime. “Cela faisait longtemps qu’on ne nous avait pas demandé cela”, a déclaré à France Inter Sylvain Krebs, directeur du parc carbone. Au cours des trois derniers mois, la centrale a ainsi produit plus d’électricité que toute l’année 2021. “Au premier trimestre 2022, la centrale aura fonctionné 1.500 heures, contre 800 heures au trimestre précédent”, précise Camille Jaffrelo. En France, la centrale de Saint-Avold est l’une des deux dernières centrales à charbon encore raccordées au réseau, après la fermeture des centrales du Havre et du Guardian en Provence. Le second qui fonctionne encore est celui de Cordemais, situé en Loire-Atlantique. Et il devait cesser ses activités en 2022 afin d’honorer la promesse d’Emanuel Macron de fermer toutes les centrales à charbon de France d’ici la fin de son mandat. Pourtant, il y a quelques mois, sa fermeture a été repoussée à 2024 voire 2026. Un projet de reconversion a été abandonné par EDF, alors que RTE considère que le soutien de l’usine au réseau est nécessaire, alors que la zone souffre de onze ans de retards qui accumuler sur le site Internet de l’EPR de Flamanville.
26 réacteurs nucléaires ont été arrêtés
Outre l’urgence de réduire notre dépendance au gaz russe, l’utilisation plus massive de combustible noir (doublement des émissions de CO2 du gaz) est aussi directement liée à la disponibilité historiquement faible du parc nucléaire français. Ce dernier souffre encore des retards de maintenance liés à la première limitation, auxquels s’ajoutent un important programme d’inspection décennal et un défaut de corrosion en série. Aujourd’hui, selon EDF, 26 réacteurs sur les 56 du parc sont à l’arrêt. Dans le détail, 19 d’entre eux sont destinés à la maintenance ou à l’approvisionnement. Ce sont des arrêts programmés. Trois réacteurs sont arrêtés accidentellement en raison d’un aléa technique. Enfin, quatre autres réacteurs sont arrêtés pour subir un test de précaution spécifiquement lié au phénomène de corrosion de tension. Un défaut en série a été observé pour la première fois dans les deux réacteurs de la centrale de Civaux en décembre dernier. En conséquence, la production d’électricité nucléaire a atteint des niveaux équivalents à ceux de 1991, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Face aux craintes de pénurie d’électricité, un décret publié en février dernier a temporairement assoupli les limites d’utilisation des centrales au charbon. Le plafond a donc été relevé à environ 1 000 heures de fonctionnement fin février, contre un plafond qui limite habituellement leur fonctionnement à 750 heures par an.
Du charbon pour secourir l’Allemagne, la Bulgarie et l’Italie
La France n’est pas le seul pays à miser davantage sur le charbon pour faire face à la crise énergétique et assurer la sécurité d’approvisionnement l’hiver prochain. En Allemagne, le gouvernement envisage d’optimiser sa capacité de production en revitalisant les centrales au charbon ou en agrandissant celles dont la fermeture est imminente. D’ici 2024, près de 5 GW de capacité de production devaient être déconnectés. “Nous examinons quelles centrales au charbon peuvent être rétablies sur le réseau en cas d’urgence ou rester sur le réseau plus longtemps que prévu”, a déclaré le PDG de RWE, Markus Krebber, lors d’une conférence de presse. “Ce ne sera pas un pas en arrière par rapport à la sortie prévue du charbon en 2030 (objectif fixé par le gouvernement, ndlr). “Au plus un pas de côté pour un temps limité”, a-t-il poursuivi. Plus tôt, la Bulgarie avait aussi annoncé le report sine die de la fermeture de ses centrales au charbon, alors même qu’elle est l’un des pays de l’Union européenne les plus attachés au noir de carburant. En 2020, le charbon fournissait près d’un quart de l’électricité du pays. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement italien de Mario Draghi a approuvé plus tôt ce mois-ci des mesures d’urgence visant à atténuer d’éventuelles pénuries de gaz, y compris la possibilité d’utiliser des centrales électriques au charbon.
Juliette Raynal
28 mars 2022, 18 h 29