La NASA aurait “confirmé que le réchauffement climatique est une fraude”, prétendent des publications partagées plusieurs milliers de fois sur les réseaux sociaux. Elles s’appuient sur un article relayé par l’agence américaine de recherche aéronautique en 2015, qui expliquerait que “l’Antarctique gagne 112 milliards de tonnes de glace par an”. Ces allégations sont fausses : la NASA a confirmé à l’AFP que ses satellites montrent que l’Antarctique a perdu de sa masse de glace depuis 2002, et rappelle aussi que le dérèglement du climat est une réalité. L’auteur principal de l’article de 2015 a également indiqué à l’AFP que ce dernier ne remet aucunement en cause l’existence du réchauffement climatique. Si son étude fait bien part d’une augmentation moyenne de la masse de glace générale de l’Antarctique de 112 milliards de tonnes de glace par an de 1992 à 2001, cette dernière se réduit nettement ensuite. En outre, la méthode de calcul utilisée a été largement critiquée par d’autres chercheurs, et il existe aujourd’hui un consensus autour de la réduction de la masse de glace de l’Antarctique.
Alors que la France a connu plusieurs épisodes caniculaires au cours de l’été, des publications partagées à plusieurs milliers de reprises sur Twitter (ici, là), Facebook et VKontakte assurent que la NASA, l’agence américaine de recherche aéronautique, aurait “confirmé que le réchauffement climatique est une fraude”, en annonçant que “l’Antarctique gagne 112 milliards de tonnes de glace par an”. Capture d’écran du site “Terra Projects”, prise le 18/08/2022 Capture d’écran Twitter, prise le 18/08/2022 Ces publications utilisent la capture d’écran d’un tweet publié en avril 2019, renvoyant vers un article publié en 2016 sur un blog, qui dirige lui-même vers une page du site de la NASA. Cette dernière résume une étude menée par plusieurs chercheurs affiliés à l’agence américaine, intitulée “les gains de masse de la calotte glaciaire de l’Antarctique sont supérieurs aux pertes”, publiée fin octobre 2015 dans le Journal of Glaciology. Des interprétations au sujet de cette étude, prétendant qu’elle démontrerait que l’agence spatiale américaine aurait confirmé que le réchauffement climatique est “une fraude” circulent depuis 2015 sur plusieurs sites et blogs (ici, là). Pourtant, “les allégations véhiculées dans ces publications sur les réseaux sociaux ne sont pas exactes”, a assuré un porte-parole de l’institution américaine auprès de l’AFP le 12 août, précisant que “les données des satellites de la NASA montrent que les calottes glaciaires de l’Antarctique perdent de la masse depuis 2002”.
Que dit l’étude de 2015 ?
Dans l’étude de 2015, plusieurs chercheurs affiliés à la NASA avaient estimé qu’à l’époque, en Antarctique, “les gains de masse dus à l’accumulation de neige ont dépassé les pertes”. Afin de parvenir à ces conclusions, les scientifiques avaient réalisé des calculs à partir de données provenant de satellites, afin d’estimer la masse de la calotte glacière du continent. Selon leurs estimations, la calotte glacière antarctique aurait ainsi gagné 112 milliards de tonnes de glace par an de 1992 à 2001, puis 82 par an de 2003 à 2008 – ce qui ne correspond pas aux gains, prétendument actuels, de “112 milliards de tonnes de glace par an” mentionnés par les publications sur les réseaux sociaux. Comme le notaient les auteurs ainsi que la NASA dans son communiqué, ces estimations allaient à l’encontre de la majorité des autres études sur le sujet, qui concluent que la masse globale de l’Antarctique se réduit. S’appuyer exclusivement sur ces recherches pour en tirer des conclusions sur la masse de l’Antarctique est ainsi malhonnête et trompeur, selon cinq glaciologues interrogés par l’AFP. Graphique montrant l’état de la calotte glaciaire en Antarctique, à son plus bas niveau historique en février 2022 ( AFP / Eléonore HUGHES, Kenan AUGEARD, Laurence SAUBADU) Catherine Ritz, directrice de recherches émérite au CNRS, à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE), explique ainsi à l’AFP le 11 août 2022 que “depuis qu’il y a des mesures, c’est le seul qui, à ma connaissance, parle d’une augmentation de la masse de glace pour l’ensemble de l’Antarctique. Certaines modélisations ont pu estimer que le centre de l’Antarctique allait gonfler parce qu’il allait y avoir plus de précipitations à cause du changement climatique. Mais les observations montrent que c’est en train de s’effondrer en Antarctique de l’Ouest [la partie du continent avec des longitudes Ouest, NDLR], et que cet effet-là l’emporte sur le reste”. Selon Jay Zwally, l’auteur principal de l’étude, les calculs de son équipe avaient effectivement montré que “l’Antarctique gagnait de la masse à cette époque, car les petites augmentations sur la grande zone de l’Antarctique oriental dépassaient les grandes pertes sur les petites zones des régions côtières de l’Antarctique occidental et de la péninsule antarctique”. “Nous avons interprété ces gains de masse dans l’Antarctique oriental comme l’illustration d’un changement climatique à long terme, qui a commencé par l’augmentation de l’accumulation de neige dans cette région avec le réchauffement du climat (…) il y a 10.000 ans. Les pertes de l’Antarctique occidental et de la péninsule antarctique sont plus récentes et sont associées au réchauffement récent de l’océan et de l’atmosphère dans ces régions”, précise-t-il à l’AFP le 11 août 2022.
Confirmation du dérèglement du climat
Les conclusions de l’article de 2015 ne remettent donc pas en cause l’existence du dérèglement du climat, au contraire. “Le changement climatique n’est absolument pas une fraude et notre article de 2015 n’a absolument pas soutenu cela”, assure Jay Zwally à l’AFP, qui dit aussi regretter que “les climato-négationnistes aient bien essayé de l’utiliser”. Dans le communiqué de la NASA, le chercheur estimait déjà que la masse de glace de l’Antarctique finirait par se réduire, en quelques décennies (tandis que d’autres études estimaient que cette perte serait bien plus rapide). “Si les pertes de la péninsule antarctique et de certaines parties de l’Antarctique occidental continuent d’augmenter au même rythme qu’au cours des deux dernières décennies, elles rattraperont le gain de masse de l’Antarctique oriental dans 20 ou 30 ans – je ne pense pas que l’augmentation des chutes de neige sera suffisante pour compenser ces pertes”, détaillait-il. “L’article co-signé par Zwally, ne soutient pas l’idée que ‘le changement climatique est une fraude’. Au contraire, il confirme l’idée, bien connue des climatologues, que le changement climatique est compliqué et que toutes les régions du globe ne réagissent pas de la même manière”, précise aussi Claire Parkinson, directrice de recherche et climatologue à la NASA . “L’article conclut que certaines zones du continent antarctique ont gagné de la glace au cours d’une certaine période, tandis que d’autres zones en ont perdu. De la même façon, d’autres études montrent que, malgré le réchauffement de la Terre dans son ensemble, certaines zones se sont refroidies au cours des dernières décennies”, illustre la chercheuse auprès de l’AFP le 12 août. Nicolas Jourdain, chercheur à l’Institut des Géosciences de l’Environnement, abonde dans le même sens. “L’évolution de la masse de la calotte antarctique en réponse au réchauffement climatique est complexe parce qu’elle résulte de la compensation de deux choses. D’abord, le réchauffement provoque l’amincissement des parties flottantes de la calotte qui retiennent en partie la glace, ce qui conduit à l’accélération de l’écoulement de la glace vers l’océan et donc à une perte de masse. Ensuite, le réchauffement provoque une augmentation des chutes de neige sur la calotte, parce que l’air plus chaud peut contenir plus d’humidité, ce qui conduit à un gain de masse, du moins tant qu’on reste à des températures largement négatives. Donc en soi, avoir une calotte qui gagne de la masse n’est pas contradictoire avec le réchauffement climatique dans cette partie très froide du globe”. Des blocs de glace dérivent au large de la côte du glacier Collins sur Île du Roi-George, à environ 120 kilomètres de la péninsule Antarctique, le 1er février 2018. ( AFP / Mathilde BELLENGER)
Une méthode de calculs critiquée
Les scientifiques interrogés par l’AFP notent par ailleurs que la méthodologie utilisée par Jay Zwally et ses pairs dans l’article de 2015 a fait l’objet de débats dès la publication de l’étude, et a été remise en cause par plusieurs spécialistes des mesures de la masse des glaciers depuis. Dans un commentaire de l’étude publié dans le Journal of Glaciology, les chercheurs reconnus dans leur domaine Ted Scambos et Christopher Shuman faisaient part de “préoccupations majeures” à la suite de sa publication, considérant les résultats comme une “aberration parmi les études récentes sur le bilan de masse de glace de l’Antarctique” et relevant des potentielles imprécisions dans les prises de mesures et des possibles erreurs dans les calculs réalisés. “Il y a essentiellement trois méthodes satellitales qu’on peut utiliser pour déterminer le bilan de masse d’une calotte de glace, qui est un énorme glacier qui couvre tout le continent”, détaille auprès de l’AFP Gerhard Krinner, directeur de recherche au CNRS à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE). Celle utilisée par l’équipe de Jay Zwally pour l’article de 2015 s’appelle l’altimétrie. “Un satellite passe au-dessus de la calotte de glace, envoie un rayon laser, qui est ensuite renvoyé vers le satellite. On mesure le temps qu’il faut pour faire l’aller-retour pour mesurer des différences de hauteur”, résume Gerhard Krinner le 12…