Posté à 17h00
Kid, comme Star Wars Kid, tire son nom d’une des séquences les plus virales sur internet, datant de l’ère paléolithique d’internet, datant de 2002. A ce jour, il reste un clip culte, le fondateur d’un particulier la viralité numérique.
Le Star Wars Kid est devenu – à contrecœur – une célébrité dans ce qu’on appelait encore l’autoroute de l’information au tournant du millénaire.
Je me souviens de la série : on voit un adolescent, habillé comme un adolescent, maladroit comme peuvent l’être les adolescents, s’impliquer devant la caméra dans un fantastique combat à l’épée légère, en solo, avec un abandon comique…
Capture d’écran DE LA VIDÉO CHILDREN’S WAR OF THE STAR
Ghyslain Raza, 15 ans, dans le clip Star Wars Kid de 2002
L’adolescent était Ghyslain Raza, 15 ans, de Trois-Rivières, PQ
Il savait qu’on le filmait, m’a-t-il dit en entrevue à l’Office national du film (ONF), qui produit un documentaire sur sa vie, qui sortira la semaine prochaine. Il le savait parce que c’était lui qui avait allumé la caméra.
“Je participais à un projet scolaire, j’avais besoin d’une série à répéter avec le logiciel de montage…”
Le matériel n’était pas destiné à être “consommé” en public. Cependant, elle a voyagé à travers le monde lorsqu’elle a été retrouvée plus tard par un camarade de classe qui l’a montrée à d’autres adolescents…
Et l’un d’eux l’a téléchargé sur le site de partage de fichiers Kazaa. La série est devenue, au-dessus des enjeux, Star Wars Kid.
C’est devenu viral, comme on ne l’avait pas dit à l’époque. Et ce virus a attaqué le jeune Raza sur trois fronts, pourrissant son existence dans le processus.
Le front médiatique : Les médias du monde entier s’intéressent à la viralité de Star Wars Kid. Le New York Times a couvert le phénomène en première page. Les médias québécois ont surtout voulu parler à l’adolescent, à sa famille, à la recherche du scoop.
Le front numérique : les « internautes », comme on les appelait, ont commenté l’adolescente dans la vidéo, de Tokyo à Cabano… Avec tout le dégoût qu’il faut pour faire de la vie un enfer à un homme, en l’occurrence un homme qui vient de fermé le 15.
Le devant de la réalité, de la vraie vie : Ghyslain Raza est devenu la risée de certains de ses camarades, qui se moquaient ouvertement de lui. Savez-vous à quel point les adolescents peuvent être mauvais…
La jeune Raza a été l’une des premières victimes de ces sites internet qui brouillent les frontières du réel et du virtuel : “L’humiliation qu’on vous fait vivre ne s’arrête pas, elle vous suit partout…”
Son école privée avait été distraite.
“Le Séminaire m’a demandé de ne pas revenir après l’été…
« Parce que tu étais une distraction ?
– Oui. »
Il a ce sourire en coin. Il n’en veut pas au Séminaire Saint-Joseph, la fondation. De plus, dans le documentaire Dans l’ombre du Star Wars Kid1, qui se concentre sur son calvaire, on le voit parler aux ados du Séminaire des dangers du numérique. Mais pendant plus de 10 ans, Ghyslain Raza s’est caché. En 2013, il accorde une entrevue au journaliste de L’actualité2 Jonathan Trudel, qui le décrit comme « la première victime de cyberintimidation à l’échelle mondiale ».
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Après cet entretien, Ghyslain Raza a refermé les écoutilles : pas d’interview, pas de commentaire, merci pour votre appel…
Ghyslain Raza est particulièrement en colère contre les médias qui l’ont repéré en 2002. Le documentaire est terrifiant dans la mesure où il peut submerger les médias quand ils veulent des nouvelles, quand ils veulent une interview, quand ils regardent la “bonne” histoire.
Lui, 20 ans plus tard, se demande encore où était la “nouvelle”, dans la série dans laquelle il a joué : “On parle d’un garçon de 15 ans. Était-ce bien de le reconnaître, de dire le nom de son école, de véhiculer son image ? Moi, je pense que non. Pourquoi les médias en ont-ils parlé ? Était-ce dans l’intérêt public? »
Vingt ans plus tard, la viralité est une réalité de la vie, pas seulement la vie virtuelle. Le virtuel s’incruste dans le réel et inversement. Mais vous ne pouvez pas imaginer comment, il y a 20 ans, en 2002, ces choses étaient nouvelles, insolites. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il était anormal de devenir “viral” pour un jeune de 15 ans – oui, un enfant – en 2002… Anormal et violent.
Je ne dis pas que c’est nécessaire, normal, aujourd’hui. Mais les enfants grandissent à l’ère du numérique, où tout le monde se filme, tout le monde fait des performances. Il y a une compréhension des codes qui n’existaient pas en 2002. En fait, il n’y avait pas de codes en 2002.
Et la barre de la viralité est maintenant plus haute : on regarde Ghyslain jouer Star Wars dans la série, et évidemment aujourd’hui, la vidéo n’atteindrait probablement même pas les 1000 vues sur YouTube. Mais en 2002, Ghyslain Raza était le canari dans la mine numérique, c’était de la nourriture pour les canons de la viralité.
Alors que le village s’est mondialisé grâce au WWW, Ghyslain Raza, 15 ans, de Trois-Rivières, a dû s’isoler pour se protéger du monde, réel et virtuel. Ses parents ont dû décrocher le téléphone (il y avait des appels du monde entier, dans toutes les langues, pour des interviews), ils ont dû quitter la maison un moment (un photographe avait essayé de capter son image entre les rideaux du salon chambre) et a fait le quatrième secondaire seul, avec un professeur particulier (le Lycée lui a demandé de ne pas revenir déranger les élèves)…
Vingt ans plus tard, il constate : « J’en ai été victime, mais dans mon milieu, à Trois-Rivières, il y a eu un étrange bouleversement. Comme mes parents ont poursuivi les parents des ados qui avaient transmis la séquence, je suis passé de victime à bourreau. Ils ont dit que je n’avais pas vraiment souffert. Que mes parents voulaient gagner de l’argent. C’était doublement difficile… »
Personne, dit Ghyslain Raza, ni les médias, ni les internautes, ni son école, n’ont vu ce qui se cachait derrière le Star Wars Kid : la vie d’un garçon de 15 ans qui s’est abandonné à l’univers virtuel et réel. . Et c’était une violence faible, une violence qui prophétisait celle des réseaux sociaux modernes.
« Personne ne t’a soutenu ?
“A part mes parents, à part mes avocats, Kathleen Rouillard et François Vigeant, non. Me Vigeant a envoyé un communiqué à l’époque pour me rappeler que j’étais un enfant… »
Je lui demande de me parler de ses parents. Et là, imperceptiblement, je sens que Ghyslain Raza s’approche, j’ai l’impression de marcher dans une zone extrêmement sûre :
“Je ne vais pas parler d’eux. Ils ont vécu une période très difficile. Mais c’était mon rocher en ces temps turbulents. Je n’ai jamais été déçu.
“Est-ce qu’ils ont aimé le documentaire?” »
Ghyslain sourit, cherchant ses mots.
“Je garderai leur réaction pour moi, mais… Ils ont aimé ça. »
Ghyslain Raza a accepté de participer au documentaire pour aller au-delà de sa propre histoire de stigmatisation, pour entamer une réflexion sociale. On le voit dans le documentaire parler à des adolescents de son âge, en 2002. Il aimait leur ouverture d’esprit, leur gentillesse : “Les jeunes ont de nouveaux réflexes, ils sont mieux conscients. »
Mais quel est le but de ce documentaire ? Que veut-il provoquer en public, avec Dans l’ombre du Star Wars Kid ?
“Vous devez savoir comment ramener la compassion dans ce que vous faites. Il est important de maintenir l’empathie et la compassion dans la prise de parole en public.
– Pas seulement les médias, pourquoi sommes-nous tous des médias maintenant ?
– Exactement. »
J’ai pris des notes, regardé ce colosse d’un ton si calme et si doux. Et je pensais qu’il y avait un miracle devant moi. Comment survivons-nous à cela ? L’intimidation est déjà une chose. L’intimidation mondiale? C’est autre chose, le niveau supérieur, comme disent les jeunes. Le fait que Ghyslain Raza ne se soit pas suicidé est une sorte de miracle.
Comment, alors, faire confiance à l’Autre ?
Ghyslain le pense. Il me répond que ça a pris un an, …