Posté à 17h00
                Suzanne Colpron La Presse             

Le prix du crabe des neiges a grimpé en flèche l’an dernier. Il explose encore cette année. Le prix des premiers arrivages de la saison, qui a ouvert vendredi, dépasse les 38 $ la livre pour le crabe cuit à Montréal. L’année dernière, c’était environ 26 $. De quoi empêcher les pattes de crabe de faire partie du rituel printanier de nombreux Québécois. « C’est du jamais vu », a déclaré Christian Servant, propriétaire de la poissonnerie Délices de la mer au marché Jean-Talon. “Les gens viennent chercher la même chose, mais ils achètent moins. J’ai vu beaucoup de gens arriver, qui voulaient quatre sections et ont ensuite décidé d’en avoir deux au lieu de quatre. C’est très cher. » PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Au Marché Jean-Talon, le prix d’un crabe des neiges vivant est de 21,50 $ la livre. Celui du crabe cuit est de 38,50 $ la livre. Pour une seule section, il vous faut de 12$ à 18$, selon la taille de vos pieds. Faire le calcul. Pour quatre personnes, mangeant trois morceaux chacune, cela se situe entre 140 $ et 216 $. Pas à un mauvais prix pour un dîner à la maison.

Plusieurs facteurs

Cette explosion s’explique par plusieurs facteurs : l’inflation galopante, qui augmente les coûts, notamment les coûts de transport, l’imposition de quotas sur les crabes d’Alaska par le gouvernement américain, qui a entraîné une augmentation du prix des crabes aux États-Unis et l’extension accordée aux pêcheurs québécois, ainsi que les effets de l’invasion de l’Ukraine, car le boycott de la Russie touche aussi le crabe russe, qui est décerné aux États-Unis et au Japon. « C’est très simple », a déclaré Pierre Léonard, coordonnateur des pêches pour la Première nation Innus Essipit sur la côte nord. Il n’y a pratiquement pas de crabes d’Alaska sur les marchés. Les Russes, avec ce qui se passe en Ukraine, ne vendront pas leurs crabes aux États-Unis. Et la demande est très forte sur les marchés américains. C’est ce qui dicte les prix au Québec, car c’est un marché plus voué à l’exportation. » En fait, les Québécois ne mangent qu’une infime partie des crabes pêchés ici. La grande majorité des crustacés sont vendus aux États-Unis. En 2020, le marché américain représentait plus de 96 % de la valeur des exportations totales de crabe du Québec, selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. PHOTO DE FACEBOOK Pierre Léonard C’est une ressource qu’on retrouve ici, mais ce sont vraiment les prix à l’exportation qui dictent les prix de détail au Québec. Pierre Léonard, pêcheur innu “Je trouve ça effrayant pour le consommateur. Je pense qu’à un moment donné, le consommateur reprendra, ajoute-t-il. En fin de semaine, ici, certains étaient vendus à la poissonnerie, mais ce ne sont pas les volumes que nous écoulons habituellement. » Même phénomène en Gaspésie. “Quand le crabe commence, on voit généralement des files d’attente chez les poissonniers”, explique le gaspésien Christian Servant. Cette année, j’ai parlé à de nombreux poissonniers qui ont des stocks. Ils n’ont pas vendu tout ce qu’ils avaient commandé. » PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Les pattes de crabe pourraient cesser de faire partie du rituel printanier de nombreux Québécois à cause de leur prix.

“Il faut essayer le marché”

Cela dit, il est encore trop tôt, selon le directeur général de l’Association des industries des pêches du Québec (AQIP), Jean-Paul Gagné, pour connaître la demande sur le marché américain. L’AQIP représente les unités de transformation que les crabes achètent aux pêcheurs. “En ce moment, il semble que la prise soit bonne. C’est intéressant. “Maintenant, nous devons essayer le marché”, dit-il. Le prix offert aux pêcheurs d’usine est actuellement de 7,50 $ la livre de crabe vivant, comparativement à 5,75 $ au début de la saison 2021. Il pourrait monter à 10 $ dans les prochaines semaines, selon la demande. 7,50 $ la livre est un prix temporaire, car nous ne savons pas comment le marché américain se comportera. Il y a de l’inflation et le pouvoir d’achat de tout le monde a baissé. Nous sommes donc prudents. Au moment où on se parle, il n’y a pas d’enthousiasme des acheteurs américains pour le crabe des neiges. Jean-Paul Gagné, PDG de l’AQIP La pêche a débuté le 25 mars dans la zone 17, en Gaspésie et en Haute-Côte-Nord. La zone 16 devrait ouvrir le 4 avril. Et la zone 12 suivra peu après. “Lorsque tout le monde arrive sur le marché, l’offre est très large. C’est là que le prix sera déterminé, explique M. Gagné. Restera-t-il le même ou augmentera-t-il ? On verra. » Le directeur du conseil des 16 pêcheurs de crabe des neiges, Jean-René Boucher, voit les choses différemment. Il s’attend à ce que le prix payé aux pêcheurs grimpe rapidement à 10 $ la livre et peut-être à 12 $ la livre. “Il y a une forte demande et le contexte international est favorable”, a-t-il dit. Avec la situation actuelle du marché, il n’y a aucune raison pour que le prix commence à 7,50 $ la livre. Bien sûr, c’est plus cher qu’avant pour les consommateurs. Par contre, il faut bien comprendre que ce n’est pas forcément le pêcheur qui est le grand gagnant de tout ça. Entre le pêcheur et l’assiette du consommateur, il y a plusieurs intermédiaires. »

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La valeur, en millions de dollars, des exportations de crabe des neiges en 2019. En 2015, elle était de 122 millions. Source : Gouvernement du Québec PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Crabes des neiges du Québec

Pourquoi est-ce si cher?

Plusieurs facteurs expliquent la différence entre le prix payé au pêcheur (7,50 $ la livre) et le prix que le consommateur paiera (21 $ à 27 $ la livre) à Montréal pour un crabe vivant. Premièrement, les ventes des pêcheurs dans les unités de transformation se font en vrac : les coquillages sont peut-être abîmés, les pattes manquent peut-être, mais les transformateurs parviennent à tout conserver. Deuxièmement, le crabe acheté au plus fort de la saison dans la poissonnerie ne passe pas par le transformateur et est plutôt acheté directement auprès des poissonniers ou des grossistes, qui ajoutent leur marge bénéficiaire et doivent supporter les frais de transport et de stockage. Le crabe est très fragile : il ne peut pas être maintenu vivant dans l’eau, comme le homard, et il ne survit pas longtemps sur la glace. Les pertes doivent donc être prises en compte. Ces crabes qu’on ne peut pas cuisiner quand ils livrent le fantôme. Ou même ces crabes auxquels il manque trop de pattes. Par conséquent, les prix peuvent également différer entre les poissonniers qui ont des liens directs avec les pêcheurs et ceux qui doivent faire appel à un distributeur. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Christian Servant, propriétaire de la poissonnerie Délices de la mer Pour nous, le simple fait d’envoyer un camion pour une expédition de crabe en Gaspésie nous coûte environ 1 500 $ en frais. Les salaires des chauffeurs ont augmenté, et le coût de l’essence est incroyable. Nous le faisons tous les deux jours. Christian Servant, propriétaire de la poissonnerie Délices de la mer, au marché Jean-Talon Troisièmement, il y a deux produits de crabe frais. Le crabe vivant est moins cher car le corps du crustacé n’est pas comestible. Nous ne tenons que les cinq pattes et leur base. Il y a donc 40% de perte dans un crabe entier. Pour cette raison, la plupart des consommateurs, pour éviter la cuisson et l’étape désagréable de déchirer les pattes d’un crabe vivant pour les mettre dans l’eau bouillante, achètent des morceaux cuits à la poissonnerie. Le prix du crabe cuit est d’environ 39$ la livre à Montréal. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Le crabe vivant est moins cher…