Posté à 17h00
                Léa Carrier La Presse             

Scénario reproductible

En maternelle, c’était un combat pour leur trouver une place. A l’école primaire, un test pour s’inscrire aux cours de danse ou de natation. Et ne parlons pas des salles de classe modulables (les fameuses “caravanes”) dans la cour du lycée du coin, pleines à craquer, où elles ont failli atterrir. « C’était bataille pour bataille, à chaque fois », se souvient Sonia Perrier, mère de trois enfants nés en 2006, 2008 et 2011 à Laval. Et même si ses enfants grandissent, le combat n’est pas terminé. PHOTO FOURNIE PAR SONIA PERRIER Sonia Perrier, son époux Jean-Guy Bélisle et leurs trois enfants. Dans les années à venir, les enfants du « mini baby boom », dont ceux de Sonia Perrier, viendront frapper aux portes du CEGEP. À partir de 2006, les naissances ont fortement augmenté au Québec avant de culminer en 2012. PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL Frédéric Fleury-Payeur, responsable de la prévision démographique à l’Institut de la statistique du Québec «Ce sont les petits-enfants des baby-boomers, explique Frédéric Fleury-Payeur, responsable des prévisions démographiques à l’Institut de la statistique du Québec. Conséquence : Québec prévoit ajouter 40 000 étudiants au cégep d’ici 2029 par rapport à 2019, ce qui représente une augmentation de plus de 23 %. Pour donner une idée, il a la taille de huit grands cégeps. La vague d’étudiants touchera principalement les établissements de Montréal et de sa banlieue. Cela pourrait être une bonne nouvelle pour le réseau collégial… s’il était prêt à les accueillir. “Et la réponse est non”, a déclaré Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps. La moitié des cégeps manquent déjà d’espace. D’ici 2029-2030, 11 des 12 cégeps montréalais déborderont, selon le ministère de l’Enseignement supérieur (MES). Parmi celles-ci, seules 4 installations ont reçu des demandes d’étude pour des projets d’ajout d’espace. PHOTO DOMINIQUE GRAVEL, LA PRESSE Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps En fin de compte, nous avons un vrai problème. Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps Cependant, nous l’avons vu venir, la vague. Sonia Perrier, comme beaucoup de parents, y a goûté. Incapable de trouver une place en crèche, il a pris 18 mois de congé sans solde. Son mari, Jean-Guy Bélisle, enseignant au Collège Montmorency, avait même prévenu son administration du raz de marée imminent ! Et maintenant, le script semble se répéter. Il est tard, mais pas trop tard. Tout le réseau des collèges est mobilisé. Le Québec mise beaucoup sur des projets d’expansion et de mobilité régionale, des solutions durables, mais qui se font attendre depuis longtemps. En attendant, une solution n’est pas exclue. Il faut éviter à tout prix le scénario du pire : « Finir par nier les étudiants », lance Bernard Tremblay.

Solutions durables

INFOGRAPHIE LA PRESSE La cafétéria du Collège Ahuntsic prend vie. Pour manger à table, il faut arriver tôt, nous informent les étudiants du cégep. “J’ai déjà mangé dans le couloir parce qu’il n’y avait pas d’autre endroit”, raconte Emmanuel Lucia, étudiant en sciences, au milieu des piqûres. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE Emmanuel Lucie Avec ses 7 300 élèves « normaux », le CEGEP accuse déjà un déficit d’espace de 5 290 m2. Et le MES prévoit une augmentation progressive de 1 300 fonds d’ici 2029. « C’est clair qu’il va y avoir une autre cafétéria ! s’exclame Frédérique Desrochers-Noiseux, étudiante en biotechnologie. PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE Frédérique Desrochers-Noiseux Québec en a fait une de ses priorités dans son dernier budget : agrandir les cégeps pour desservir les futurs clients. Elle dispose de 361,6 millions de dollars à cette fin dans le Plan québécois des infrastructures 2022-2032. Le Cégep de Maisonneuve, le Collège Ahuntsic, le Cégep Édouard-Montpetit, le Collège Montmorency, le Cégep de Saint-Jérôme, le Cégep régional de Lanaudière, le Collège Lionel-Groulme et le Cégep de Saint. Tout le monde est concerné par un projet d’expansion. En février, Québec a stoppé son projet d’agrandissement du Collège Dawson, qui souffre d’un manque d’espace de 11 200 pieds carrés. Mais les projets n’avancent pas vite. Beaucoup d’entre eux sont encore à des années de traverser le sol. “Il y a une prise de conscience du gouvernement”, a déclaré Bernard Tremblay. Mais ce que nous ne faisions pas il y a quelques années, nous ne pouvons pas le faire en criant “ciseaux”. » Souhaitant accélérer le processus, le Collège Ahuntsic a scindé son projet d’agrandissement en deux phases, dont le lancement a été reporté à 2027. PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE Nathalie Vallée, directrice générale du Collège Ahuntsic Il était inacceptable pour nous d’attendre ce moment. Nathalie Vallée, directrice générale du Collège Ahuntsic La première phase, à boucler plus rapidement, devrait être prête pour 2024-2025 et ajoutera 12 classes. Face à l’urgence, le Collège Lionel-Groulx a également mis fin à son important projet d’agrandissement, qui comprend la construction d’un nouveau kiosque. À partir de 2023, l’administration devra jongler avec 600 autres étudiants du cégep. “C’est très, très dérangeant”, s’étonne le PDG Michel Louis Beauchamp. PHOTOGRAPHIE DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE Collège Lionel-Groulx, Sainte-Thérèse Du côté du MES, on précise que les besoins d’espace au CEGEP sont occupés « depuis quelques années déjà ». L’an dernier, le MES a tenu une ronde de rencontres avec les directions des cégeps du Grand Montréal pour documenter leurs besoins et concevoir « différents scénarios possibles » avec des solutions « immobilières et non immobilières » pour augmenter l’inévitable nombre d’étudiants. “Une deuxième tournée commence à confirmer ces scénarios”, a déclaré le porte-parole du MES, Bryan St-Louis.

Favoriser la mobilité régionale

Les besoins en espace, particulièrement dans le Grand Montréal, sont trop importants pour les sommes disponibles à partir de Québec. Pendant ce temps, les cégeps régionaux peinent à recruter des étudiants. Et la vague de cégépiens qui se profile à l’horizon les sauvera relativement. « Nous croyons pouvoir faire partie de la solution », a déclaré Marie-Claude Deschênes, porte-parole du Regroupement des cégeps de régions et directrice générale du Cégep de La Pocatière. PHOTOGRAPHIE DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE Marie-Claude Deschênes, représentante du Regroupement des cégeps de régions Les périphériques du cégep ont les bras ouverts. Environ 9 000 places sont disponibles dans les 12 établissements du groupe. Avec un budget de 238,8 millions s’étendant jusqu’en 2026-2027, Québec veut aussi dynamiser la mobilité régionale, dans le but de réduire la pression sur les cégeps du Grand Montréal notamment. « Nous avons vraiment de la place. C’est une solution intéressante pour…