Il faut dire que le principe de cette fraude est bien établi et repose sur les faiblesses du système de santé français. La preuve : franceinfo a pu se procurer une de ces fausses recettes en quelques heures. Dans la série #YaPasDeFraude, voici ce qui se passe sur les réseaux sociaux ces jours-ci… La version The Fraud Cartel du trafic de drogue… #FraudeSsociale pic.twitter.com/dQApSWqZC1 – Charles Prats APM ⚖️ (@CharlesPrats) 3 août 2022 Il vous suffit de repérer une annonce sur les réseaux sociaux. Celui que nous avons choisi arbore, sur fond musical, un faux docteur, barbe et blouse blanche, promettant aux futures recrues un salaire de plusieurs centaines d’euros par jour. Seule condition requise : être remboursé à 100% ou bénéficier de la CMU (couverture maladie universelle). Le détail a son importance : il permettra de récupérer les médicaments sans avoir à avancer d’argent. Ensuite, tout se passe dans des messages Telegram cryptés. En quelques minutes, un interlocuteur nous répond. Capture d’écran d’échanges avec un homme proposant de fausses ordonnances, août 2022. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE) Après avoir envoyé nos nom, prénom, âge et ville, une fausse ordonnance arrive dans notre boîte aux lettres. Ça a l’air réel. On y retrouve la manchette d’un hôpital parisien, le nom d’un médecin et le traitement prescrit : un médicament contre le cancer de l’ovaire à plus de 4 500 euros la boîte. Pour certains soins, le prix peut atteindre jusqu’à 14 000 euros la boîte. La fausse ordonnance envoyée pour récupérer le médicament à la pharmacie, en août 2022. (MARGAUX STIVE / RADIO FRANCE) Selon notre interlocuteur, il suffit d’aller chercher le médicament à la pharmacie puis de le lui remettre en liquide : 200 euros la boîte, 1 000 euros les quatre. Selon l’OCLAESP, l’office central de lutte contre les atteintes à la santé et à l’environnement, ces médicaments sont ensuite revendus à l’étranger. Mais souvent, dit l’OCLAESP, ils sont transportés dans de si mauvaises conditions qu’ils ne sont plus efficaces une fois sur place. Mais les fraudeurs se font une marge confortable : plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’euros dans chaque caisse, le tout sur le dos de l’Assurance maladie. Interrogée par franceinfo, la Caisse nationale d’assurance maladie n’a pas fourni de chiffres sur le total des dégâts, mais un exemple donne une idée du coût pour le système de santé français : en l’espace d’un an, deux hôpitaux ont récemment été valorisés à plus plus de quatre millions d’euros la somme qu’ils ont détournée grâce à de fausses ordonnances établies à leur nom. Depuis les premiers bilans fin 2019, la Caisse nationale d’assurance maladie parle d’un phénomène “en hausse”. Plusieurs hôpitaux et médecins ont falsifié leurs noms et les ont réutilisés dans des ordonnances. Dans notre fausse ordonnance, c’est le nom d’un radiologue de la région marseillaise qui apparaît, par exemple, attaché à l’hôpital parisien Lariboisière où il n’a jamais travaillé. Contacté par franceinfo, son cabinet confirme recevoir régulièrement des signalements de pharmaciens de proximité, “jusqu’à 3 ou 4 par semaine”, “des dizaines” depuis un an. Le médecin a porté plainte en novembre dernier. C’est aussi le cas de l’hôpital européen de Marseille, dont le nom figure sur de nombreuses fausses ordonnances. L’institution privée confirme là aussi, après avoir été notifiée à deux reprises, en décembre et en avril dernier. Deux plaintes ont été déposées. Depuis, l’hôpital veille à travailler en étroite collaboration avec les pharmacies qui le contactent au moindre doute sur une ordonnance. Avec ce système, “une quinzaine” de fausses ordonnances ont été détectées depuis la nuit des temps, selon l’établissement. De leur côté, les pharmaciens essaient de faire avec les moyens disponibles, mais la tâche est de plus en plus compliquée, reconnaît Alain Delgutte de l’Ordre national des pharmaciens : « La qualité des fausses ordonnances s’est nettement améliorée et le manque de vigilance dont les pharmaciens peuvent avoir besoin ». “Au début les ordonnances étaient assez sommaires, et en plus il y avait des notices. Maintenant, il n’y a plus de fautes d’orthographe, on a même parfois le cachet du médecin avec un numéro RPPS (numéro officiel des professionnels de santé).” Alain Delgutte, Ordre National des Pharmaciens chez franceinfo Malgré l’amélioration du système, les enquêtes réussissent parfois. En mai dernier, 14 personnes ont été condamnées par le tribunal de Mulhouse. Le couple à la tête du réseau, qui expédiait la drogue en Égypte, a été condamné à sept ans de prison. Le jeune qui avait été recruté sur les réseaux sociaux pour apporter les médicaments avec une fausse ordonnance a été condamné à un an de prison, dont six mois. Mais la menace d’une condamnation et la vigilance des professionnels ne suffisent pas à stopper cette fraude. L’Ordre des pharmaciens et la Caisse nationale d’assurance maladie s’appuient sur un moyen bien plus efficace, selon eux : l’ordonnance électronique. Recettes conservées sur un serveur sécurisé, avec un système de QR code. Le gouvernement a promis de le mettre en place d’ici la fin de 2024.