Au bout de quelques secondes, la muette quitta son siège dans un silence complet. Lourd, toujours bouché. La salle d’audience est pleine, comme ce n’est plus le cas depuis plusieurs mois, les civils se serrent les coudes. Sept mois après le début du procès du 13 novembre, le tribunal spécialement constitué s’apprête à diffuser, après de vives discussions, trois nouveaux extraits audio de l’attentat du Bataclan ainsi qu’une trentaine d’instantanés de la scène du crime. Des faits réels qui viennent, sinon compléter, du moins illustrer les témoignages de ce massacre qui a fait 90 morts (40 autres personnes sont mortes cette nuit-là sur les toits des 10e et 11e arrondissements et au Stade de France). En quelques instants, la salle est transférée au Bataclan. Les Eagles of Death Metal sont en train d’interpréter l’un de leurs titres phares, “Kiss The Devil”, lorsque des bruits secs et froids les interrompent. Ceux des Kalachnikovs. Les explosions s’enchaînent puis se déclenchent par fragments. Après quelques secondes de surprise, des cris de terreur montent. On comprend la confusion, les mouvements de foule. Des cris de douleur aussi. Sur les bancs des parties civiles presque tout le monde est immobile, on voit parfois une main caresser le dos de son voisin en signe de consolation, un mouchoir étalé sur le premier banc. Dans le box des accusés, l’un d’eux, Farid Kharkhach, se bouche les oreilles, les autres écoutent attentivement.

« Avons-nous des otages ? »

Si le deuxième détachement se fait difficilement entendre, le troisième réitère l’attaque de la BRI, la brigade de recherche et d’intervention, pour libérer les onze otages détenus par deux terroristes. Il est 00h18, l’attaque a commencé il y a presque deux heures et demie. « Venez les enfants, venez, venez ! L’intensité est perceptible, les tirs des armes lourdes résonnent au milieu des cris terrifiés. “Nous sommes les otages ! “On court, on va, ”allez tout droit”, dépêchez-vous, ordonnez la police. Quelques minutes plus tard, une forte détonation s’est fait entendre. L’un des terroristes – Foued Mohamed Aggad – vient d’être explosé. ‘ demande un policier. “Oui, ils sont descendus.” Dès que les extraits sont terminés, la lumière de la salle d’audience s’éteint. Des partis politiques quittent la salle, une trentaine de clichés vont être projetés. Une fois entré dans le Bataclan, on peut voir un corps gisant sur le bitume. Comme un premier regard d’horreur à l’intérieur. Au fil des photos, le tribunal découvre le charnier. Les cadavres enchevêtrés près du bar, la tombe ensanglantée, les effets personnels abandonnés à la hâte et tous ces corps gisant face contre terre. Les victimes sont souvent retrouvées en groupe, près du bar à l’entrée de la salle, probablement les premières tuées, près d’une issue de secours alors qu’elles tentaient de sortir ou devant la tente. La salle d’audience est occupée, presque en apnée. La même description revient, photo après photo, dans la bouche du président : « On voit beaucoup de cadavres par terre… » Dans le box, plusieurs prévenus, dont Salah Abdeslam, regardent, d’autres regardent ailleurs.

Apparence pour apparence ?

L’écoute de cette bande sonore, montrant la percussion des balles et le sang, a-t-elle favorisé la “manifestation de la vérité”, selon l’expression établie ? “Nous n’avons pas pu nous épargner de cette émission, comme l’estimait lors de la suspension de l’audience, Arthur Dénouveaux, le président de l’association La Vie pour Paris, à l’origine de cette requête. Il me semblerait complètement absurde que le tribunal puisse se retirer pour statuer sans voir ces images. La question en a divisé plusieurs au sein des partis politiques. Certains n’étaient pas revenus sur le procès depuis fin octobre et la séquence consacrée aux auditions des partis politiques. D’autres, en revanche, qui suivent assidûment les discussions, ont préféré cette fois s’abstenir, pour ne pas retomber dans l’horreur de cette nuit. Les images sont-elles plus fortes que les quelque 200 témoignages de l’attentat du Bataklan ? Même sans photographies, tous les récits permettaient d’imaginer la violence des attentats, les descriptions du sang inondant la fosse, les soupirs de douleur et les derniers soupirs permettaient de les visualiser. Mais les témoignages, même s’ils se recoupent, restent un récit subjectif. Suffit-il de se rendre compte de la réalité d’un crime ? “Je veux que les gens sachent ce qui s’est passé à l’intérieur, ce n’est pas qu’un symbole”, a déclaré Marie, qui était dans la fosse cette nuit-là et a vu son amie mourir dans ses bras. Et d’insister : “Ces images et ces bandes sont transcendantes mais elles sont la réalité de ce que nous avons vécu. »