Progrès insuffisants

Le gouvernement avait brisé un tabou mi-mars, deux semaines après qu’Yvan Colonna ait été violemment agressé en prison, en ouvrant des pourparlers avec les élus de l’île sur une éventuelle autonomie de la Corse. Les trois syndicats étudiants corses avaient alors affirmé que “seule la libération des prisonniers politiques permettra de sortir de l’état de violence actuel”. “Sans ce geste”, la mobilisation “risque de s’intensifier”, ont-ils prévenu. Un pas est franchi par l’exécutif quelques jours plus tard, avec la promesse de transférer Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, complices d’Yvan Colonna dans l’assassinat du préfet Erignac, à la prison de Borgo (Haute-Corse). Le statut de « détenu spécial » (DPS) des deux parties a été levé à la même occasion. Mais cela n’a évidemment pas suffi à relâcher la pression. Dimanche, les insulaires ont de nouveau foulé le trottoir, notamment à Ajaccio et Bastia, suite à un appel de Stéphane Colonna, le frère d’Yvan, décédé le 21 mars après un coma de trois semaines. La mobilisation – qui a attiré 4.000 personnes selon la préfecture, 14.000 selon les organisateurs – a été marquée par de violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Lancer des cocktails Molotov, des bombes rurales, des pancartes électorales, allumer des feux aux côtés des manifestants. Eau, gaz lacrymogènes et grenades éclair contre les forces de l’ordre… Les heurts ont fait 15 à 14 manifestants et un policier blessés, selon la préfecture, dont trois grièvement blessés. Une femme de 54 ans a reçu une balle dans la jambe entre eux.

“Déni de démocratie”

Mais ces concessions ne suffisent pas du tout aux élus, comme le résume Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio et président du groupe Avanzemu à l’Assemblée de Corse : « La suppression du régime DPS et le transfert, c . les tuyaux avant le drame. Cela ne suffira peut-être pas. Il faut une sortie de crise, une vraie négociation institutionnelle. Promettant de soulever l’épineuse question de l’autonomie de l’île, le gouvernement “a voulu réduire les tensions à quelques semaines de l’élection présidentielle”, a déclaré Jean-Guy Talamoni, un ancien porte-parole. Président de l’Assemblée de Corse, aujourd’hui membre du Mouvement Corsica Libera. « [Le gouvernement] il pensait qu’en envoyant M. Darmanin faire deux ou trois discours, les choses se calmeraient. Il considère les gens comme des idiots”, poursuit l’ancienne figure des séparatistes. “La colère est toujours présente, elle ne va pas disparaître d’un coup, elle existe depuis plusieurs années”, prévient-il. Pour Jean-Guy Talamoni, la colère de l’île vient d’un « déni de démocratie » : « Les nationalistes ont gagné 2017 dans un projet très clair. Malgré ce vote, il n’y a pas de discussion sérieuse sur le gouvernement, pas d’évolution sur les revendications portées par le suffrage universel : la langue, la terre, la fiscalité ou la question des prisonniers. “Il y a une volonté d’ignorer les résultats des élections et la démocratie”, a-t-il dit.

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Ouverte lors de la visite de Gérald Darmanin en Corse, la porte des négociations d’autonomie s’est vite refermée. Lundi après-midi, l’entourage du ministre a annoncé le report de la rencontre prévue le 8 avril à Paris, estimant que “les conditions de la normalisation du dialogue étaient peu réunies”. Quelques heures plus tôt, c’est Emanuel Macron qui avait déclaré les violences “inacceptables”, assurant qu’”il n’y aura pas de discussion” sans “revenir à l’ordre antérieur”. “C’est triste, mais je veux croire que c’est le résultat d’un encadrement et non d’une annulation claire et dure”, déplore Jean-Christophe Angelini, qui craint que le report “ne provoque pas de colère”. “On ne peut pas rester dans l’impasse et dans l’absence constante de dialogue politique, car il n’y a pas d’issue sans discussion ouverte”, poursuit le maire de Porto-Vecchio. Mais le préalable “retour au calme” du gouvernement ne semble pas convaincre les Corses. “Nous n’allons pas nous pousser les uns les autres ou avec des prérequis. Il faut très vite jeter les bases d’un dialogue politique”, poursuit l’édile, selon lequel “il n’y a pas de contradiction entre le fait qu’ils restent mobilisés et le fait que le dialogue s’ouvre”. “Il ne s’agit pas de révéler ou de prolonger un conflit logique. « Mobiliser, ce n’est pas pérenniser une logique d’affrontement, c’est permettre aux gens d’exprimer un certain nombre de convictions », précise Jean-Christophe Angelini. Pour Serena Battestini, élue du groupe Core in Fronte à l’Assemblée de Corse, il y a même une urgence de dialogue et de progrès : « Les gens veulent plus et plus vite. “Au.” [les nationalistes] remporté les élections territoriales, nous sommes majoritaires. “Maintenant le dialogue doit être consolidé de façon permanente, on ne peut pas être en conflit permanent avec l’Etat”, précise le conseiller territorial. Pour faire entendre leur voix, certains parient sur l’élection présidentielle, comme les mouvements indépendantistes Core in Fronte et Corsica Libera, qui ont appelé au boycott des élections présidentielles des 10 et 24 avril. La rage du peuple corse se lit dans les urnes de dimanche.