Le général Éric Vidaud, directeur du renseignement militaire à partir du 1er septembre 2021, aura le règne le plus court – sept mois seulement – dans cette institution créée en 1992. Au lendemain de la guerre du Golfe, François Mitterrand avait jugé que la France n’était pas tout à fait autonome dans son capacité à recueillir des informations tactiques et stratégiques. Depuis, DRM a connu neuf commandants. Son budget tourne désormais autour de 110 millions d’euros pour 2 100 agendas. Lire aussi – Alexandre Papaemmanuel, enseignant à Sciences Po : “Le renseignement est devenu une politique publique” La majorité de ses directeurs avaient une expérience dans la collecte de renseignements jusqu’en 2017, ayant travaillé par exemple dans le GATS, également sous la tutelle du ministère de la Défense, au moins financièrement et juridiquement. Mais ce n’était pas le cas des deux derniers DRM : le général Jean-François Ferlet, nommé en 2017, était issu de l’armée de l’air et du Centre de planification et de conduite opérationnelles de l’état-major (CPCO). L’homme n’avait pas fait de miracles dans cette position. Certains l’accusent même de démanteler une partie du réseau d’attente stratégique de DRM.
Manque de clarté du service
Quant à Éric Vidaud, un très honorable commandant des opérations spéciales et “un officier d’une qualité exceptionnelle”, “il n’était pas le meilleur”, selon les mots du chef d’état-major général Burkhard, pour mener sa “réforme majeure imminente” DRM afin de accroître sa capacité à “gagner la guerre avant la guerre” grâce à la qualité du renseignement de crise. “ Blâmer les DRM ne manque pas d’humour car la prévision de crise est du ressort de la DGSE “ Selon nos confrères de L’Opinion, le général Vidaud paierait son limogeage par le manque de finesse de ses services à percevoir les intentions de l’armée russe qui s’est rassemblée à la frontière ukrainienne de novembre à février dernier. « Porter son chapeau à la DRM ne manque pas d’humour tant l’attente des crises est du ressort de la DGSE », ironise froidement un familier des deux chambres. Mais le service de renseignement extérieur, dirigé par le diplomate Bernard Émié, a nié toute responsabilité dans l’échec de la prévision d’une attaque russe contre l’Ukraine. “On nous reproche de ne pas voir la guerre arriver en Ukraine, mais nous ne sommes pas dans l’esprit de Vladimir Poutine”, a déclaré le mois dernier une source étrangère du renseignement. On ne savait pas alors qu’il attaquerait, comme les Allemands ou les Britanniques. Ou pas moins que la Chine, qui n’avait pas songé une seconde à évacuer ses citoyens. »
Devinez les intentions
C’est ici qu’intervient la discussion d’opportunité et, avec elle, la répartition des missions entre les services. Exemple avec la Crimée en 2014 : la Russie allait-elle envahir militairement ? “Sous mes ordres, j’avais demandé qu’on enlève le plus de termes possible dans nos analyses, pour qu’on puisse pleuvoir plus, en étant plus affirmatif”, avoue le DRM de l’époque, le général Christophe Gomart. J’avais indiqué que les Russes n’attaqueraient pas parce qu’ils avaient peu de soutien logistique en première ligne, peu d’hôpitaux, pas de forces légères en première ligne, et parce que les comités de « mères » de soldats témoignaient du manque de munitions dont disposaient leurs fils en les exercices. « Exactement ? Oui. Cela ne voulait pas dire, selon lui, que les Russes ne déstabiliseraient pas l’Ukraine. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait en occupant la Crimée, non pas en masse, mais avec des commandos de guerre hybride très agiles. Mais pour deviner les intentions politiques d’un dirigeant, les choses sont parfois bien plus compliquées que de décrypter une photo satellite. Ainsi pour les coups d’Etat au Mali ou pour la décision de l’Australie de torpiller le contrat des sous-marins français en septembre dernier. Là encore, la DRM précise que ce n’est pas son seul rôle d’anticiper ces crises aux frontières politiques, économiques et militaires. La DGSE, quant à elle, affirme avoir beaucoup investi dans la lutte contre le terrorisme au Levant et au Sahel et dans la prévention des menaces de renseignement des opposants à la France. Selon elle, la DRM serait encore mieux placée pour savoir ce qui se passait au sein des forces spéciales maliennes, terreau fertile pour le putsch de Bamako. Pour Christophe Gomart, ces échecs ne peuvent être réparés par des licenciements ou des boucs émissaires. Cette inquiétude préoccupera la plupart des titulaires des grandes directions du renseignement français qui arrivent à terme dans les prochaines semaines, et notamment leur coordinateur à l’Elysée, Laurent Nuñez.