franceinfo : Serait-il utile de réglementer les vols en jet privé ? Lucas Chancel : Au fond, nous n’en sommes qu’au début des efforts que chacun devra fournir pour réussir cette transition climatique. Donc, s’il n’y a pas le sens de la justice, un sens partagé par les Français à qui il sera demandé de faire des efforts supplémentaires dans les mois, les années à venir, un sens selon lequel chacun y contribue, il sera très difficile de faire cette transition. Par exemple, depuis mars dernier, il est interdit aux simples mortels de prendre l’avion si une alternative au train de moins de deux heures et demie de trajet est envisageable. Cependant, cette loi qui a été votée ne s’applique pas aux jets privés. Pourtant, si les super pollueurs ont des super exonérations, il sera difficile de demander aux Français d’en faire plus. Faut-il réglementer l’utilisation des jets privés ou l’interdire purement et simplement, comme l’a demandé le secrétaire général d’Europe-Ecologie-Les Verts, Julien Bayou ? Puisque l’usage de l’avion est interdit s’il existe une alternative au train pour tous sauf les utilisateurs de jets privés, il est difficile de justifier le fait qu’il puisse y avoir une dérogation pour un moyen de transport qui pollue cent fois, voire mille fois plus que les autres transports à faible émission de carbone. Je suis pour un principe assez simple, c’est le principe d’égalité devant la loi. Si on met une interdiction aux Français, alors ça devrait s’appliquer à tout le monde. Ensuite, on peut toujours regarder les détails et les situations spécifiques et dans certains cas, une interdiction complète ne devrait pas suffire. Cependant, sur des vols plus courts, l’interdiction me semble tout à fait nécessaire. “Pour rappeler les ordres de grandeur, une heure de jet privé émettra autant de carbone qu’un Français dans sa voiture pendant une année entière. Nous sommes dans un dépassement complet auquel il est urgent de remédier.” Lucas Chancel, co-directeur du Laboratoire des inégalités à l’Ecole d’économie de Paris chez franceinfo Le risque n’est-il pas de freiner ceux qui les utilisent ou de freiner toute l’industrie aéronautique parce que c’est une question financière ? Je pense que l’enjeu aujourd’hui est surtout de ne pas rivaliser avec la majorité des Français à qui on a commencé à demander des efforts. Nous devrions zéro nos émissions de carbone, qui sont aujourd’hui d’environ 9 tonnes par an et par personne, pour les familles françaises, en 2050. Pourtant, il y a quelques personnes qui émettent beaucoup plus, qui émettront 20 tonnes, 30 tonnes, 100 tonnes par année. Le danger est plutôt d’entraîner la majorité de la population qui aurait l’impression de faire un effort quand d’autres ont des déviations. Je pense que c’est à cela que nous devons réfléchir aujourd’hui. Nous devons tous commencer cette transition et il ne devrait donc y avoir aucune exception.